A Human Future

John O'Donnell : les expériences traumatiques et leurs conséquences imprévisibles

Beth Porter: Depuis la catastrophe de Swissair, plus de quinze années se sont écoulées. Depuis lors, vous avez été appelé à réaliser des cérémonies commémoratives. Comment votre expérience pendant et après la catastrophe a-t-elle affecté votre vision et votre travail comme aumônier?

John O’Donnell: Cela m’a beaucoup appris sur les êtres humains et la vie en général, et aussi sur la communauté et les relations. Cela m’a aidé à apprécier davantage le don qu’est la vie et la capacité de l’esprit humain à s’élever audessus des difficultés ou à les traverser. Notre vie a plus de sens lorsque nous faisons preuve de gentillesse, de compassion et d’entraide, les uns envers les autres.

Comment avez-vous vécu les moments passés sur le site de l’écrasement?

Mon unité a été appelée très tôt, avant le lever du soleil, à se déployer à St. Margaret’s Bay, près du lieu de l’écrasement. Je me suis rendu compte que quelque chose en moi travaillait à m’empêcher d’absorber la pleine ampleur de la catastrophe pendant les premières heures, comme si s’était déclenché une sorte de mécanisme de défense. Cela m’a pris au moins une journée à me retrouver et examiner la meilleure façon de fonctionner dans des circonstances si inhabituelles. Des tentes avaient été installées, et nous étions plongés dans la situation, 24 heures par jour. Nous dormions, mais je me rappelle qu’au troisième jour, quelqu’un me demanda comment se portait mon appétit. Je me rendis compte que j’avais à peine mangé depuis trois jours. Ce n’était pas normal. On retire un certain soutien d’être engagé avec d’autres. Chacun a un rôle à jouer. Comme padre, mon travail était d’être en lien avec les soldats qui recueillaient les débris et les restes humains. Si je sentais qu’ils n’allaient pas bien, j’intervenais parfois et recommandais qu’ils remplissent d’autres tâches. Il y eut certaines situations très intenses. Par exemple, un soldat retrouvait une chaussure ou un vêtement d’enfant, et ayant un enfant de cet âge, il ou elle atteignait soudainement un autre niveau de conscience de la situation, ce qui déclenchait un moment très difficile.

Quel rôle jouait la prière pendant ces journées?

Je priais constamment, tout le temps. Il n’y avait pas beaucoup de temps pour prier avec les soldats sur les plages; la prière dans ce contexte était essentiellement non-verbale. Mais lorsque les familles ont commencé à arriver et qu’il m’a été demandé de les accompagner, la prière est devenue une partie intégrante des moments passés ensemble. Puisqu’ils ne pouvaient accéder au site de l’écrasement, une zone fut désignée à Peggy’s Cove, d’où ils pouvaient apercevoir les opérations de recherche au large. J’étais responsable, entre autres, d’accompagner les familles aussi près de l’eau qu’il était possible et sécuritaire, afin qu’ils y jettent des fleurs et prient ou se recueillent en silence. J’ai prié du mieux que je pouvais avec des familles de diverses traditions religieuses, prenant en charge les prières des familles chrétiennes et priant en silence avec les familles d’autres confessions, tandis que d’autres menaient la prière.

Avez-vous ressenti la présence de Dieu sur le bord de l’eau?

Cette sensation a surgi à des moments inattendus. Certaines familles chantaient des chansons qui avaient un sens spécial pour leur être cher. C’était une façon de donner un peu de sens à la situation. Une famille chanta Nearer My God to Thee puis Amazing Grace. C’était extrêmement émouvant, mais parce qu’une seule famille à la fois pouvait être accompagnée au bord de l’eau, je me rappelle m’être inquiété que d’autres familles soient mécontentes d’avoir à nous attendre. Lorsque je suis finalement remonté pour accompagner la famille suivante, je m’excusai de les avoir fait attendre. La réponse du père fut poignante. « Padre, » dit-il, « c’était incroyable! Vous auriez pu passer toute la journée là-bas, en ce qui nous concerne. » Je me souviens aussi d’avoir vu une personne marcher le long d’une rangée de pompiers et de policiers qui formaient une sorte de cordon de sécurité, serrant chacun d’eux dans ses bras avant de descendre là où je me trouvais. Voir des gens faire preuve de générosité, de compassion et d’amour malgré leur propre douleur, c’était sans doute l’un des signes les plus puissants de la présence de Dieu. Plusieurs familles sont venues dans les jours suivant l’écrasement. Une prière fut organisée, une semaine après l’évènement. La plupart y participaient. La recherche des corps prenant beaucoup de temps, il a fallu attendre un an pour mener à bien les cérémonies de commémoration et d’inhumation des corps non identifiés. La plupart des familles sont revenues, lors du premier anniversaire, et plusieurs d’entre elles, pour le deuxième anniversaire. 2 | POUR LA SUITE DU MONDE Le 2 septembre 1998, le vol 111 de Swissair s’écrasait à St. Margaret’s Bay, à quelques kilomètres au sud de Halifax, en Nouvelle-Écosse. L’impact le réduisit en millions de débris. Il n’y eut aucun survivant. Ce qui avait été d’abord conçu comme une mission de secours, se transforma rapidement en une lente opération de recherche. Ceci est le lieu de sépulture des restes humains non identifiés. Le site de Bayswater offre une vue sur St. Margaret’s Bay, le lieu de l’écrasement, dans la direction de Peggy’s Cove. Les noms des victimes sont inscrits sur le monument. John O’Donnell présidait le Comité interconfessionnel, et à ce titre, faisait partie du Secrétariat de Swissair mis sur pied par la province de NouvelleÉcosse, afin de gérer les nombreux aspects logistiques et autres, au lendemain de la catastrophe. En collaboration avec les familles, ce comité planifia l’inhumation et les commémorations qui eurent lieu un an après l’écrasement.

Les 229 passagers et membres de l’équipage représentaient 17 confessions religieuses et comptaient également un groupe important d’individus sans confession précise. Très tôt, nous avons rassemblé des leaders religieux représentant environ 90% des personnes à bord de l’avion: catholiques romains, anglicans, orthodoxes grecs, juifs, musulmans, ainsi que plusieurs églises protestantes. Ce petit groupe et moi-même avons travaillé avec les familles, pour organiser les moments de prière du premier anniversaire et lors des années suivantes.

Vous avez accompagné des familles qui sont demeurées en contact.

Oui. Une ligne d’un poème prononcé lors du jour anniversaire me revient à l’esprit: « Au coucher du soleil et au matin, nous nous souviendrons d’eux. » Ce souvenir fidèle des êtres chers me donne de l’espoir.

Désormais, la plupart des familles soulignent le 2 septembre en privé, mais un certain nombre d’entre elles retournent chaque année en Nouvelle-Écosse. Je crois qu’elles y sont poussées parce qu’elles ont tissé des liens, signifiants bien que tragiques, avec des habitants du lieu qui les ont accueillies, soutenues et réconfortées à leur première arrivée. L’endroit comme tel y est également pour quelque chose: le cadre naturel est grandiose et magnifique. Je crois que cela joue un rôle dans leur retour, année après année.

Vous avez travaillé avec des soldats participant aux recherches sur le lieu de l’écrasement, et aussi avec des soldats revenus de zones de guerre et souffrant du syndrome de stress posttraumatique (SSPT). Comment décrire leur expérience?

Ce qui frappe le plus, selon moi, c’est l’incapacité à surmonter l’expérience traumatique, ce qui les amène à en revivre chaque jour certains aspects et les empêche de réaliser leurs activités quotidiennes. Pour prendre l’exemple d’un soldat, le simple fait de se diriger vers une porte et l’ouvrir peut réveiller le souvenir d’avoir ouvert une porte et aperçu une scène traumatisante. Ils se battent contre la dépression, les pensées suicidaires et un sentiment d’aliénation et de solitude, même lorsqu’ils ont vécu l’expérience traumatique avec d’autres. Une certaine souffrance se dégage aussi de leurs relations avec leur famille et leurs amis, qui souvent ne comprennent pas et perçoivent leur comportement comme tout simplement antisocial. Cela évoque l’expérience du général Roméo Dallaire. Son ouverture à exprimer les effets du SSPT dont il a souffert après le Rwanda a contribué à y sensibiliser le public. Entre 8 et 10% des soldats revenant d’Afghanistan et un bon nombre des personnes ayant pris part aux opérations de recherche après l’écrasement du vol de Swissair ont souffert du SSPT, ce qui a causé chez certains, la perte de leur emploi ou de leur famille, ou encore la fin de leur mariage. Les Forces canadiennes ont consacré beaucoup de temps, d’énergie et d’argent à fournir divers traitements, par l’entremise des Centres intégrés de soutien au personnel à travers le pays. Il y a eu certaines réussites, mais à ma connaissance, certains soldats s’avèrent incapables de fonctionner et quittent la vie militaire. On sait que certains parviennent à retrouver un emploi et tisser de nouvelles relations, tandis que pour d’autres on n’entend plus parler.

À ma connaissance, même les médecins et professionnels les plus informés et expérimentés ne parviennent pas à expliquer pourquoi certains individus surmontent mieux que d’autres les situations traumatiques. Il existe de nouvelles avenues thérapeutiques, mais le SSPT demeure pour l’essentiel un mystère. Nous encourageons les personnes concernées à s’adresser à un conseiller ou un proche, immédiatement après une expérience traumatique et à ne pas renfermer en eux ce qu’ils vivent. En parler peut faire office de soupape de sûreté. La spiritualité peut s’avérer une ressource importante, mais pas pour tous. La méditation et la croissance spirituelle peuvent amener l’individu à transcender les expériences difficiles. Un bon accompagnement spirituel peut l’aider à intégrer une communauté qui l’accepte et le soutienne. Il est cependant difficile d’affirmer si cette relation permet de mieux gérer le stress post-traumatique.

J’ai participé à un certain nombre de séances de gestion du stress post-traumatique, tout juste après la catastrophe du vol Swissair. Il est très difficile d’affirmer si cela a permis ou non aux participants de prévenir le SSPT. Parfois, plusieurs années s’écoulent avant que surgissent des difficultés. Un jour, la personne vit un nouveau trauma – un divorce ou une autre perte. Ses points de référence se retrouvent légèrement déséquilibrés, ce qui déclenche l’émergence soudaine de souvenirs pénibles liés à l’évènement survenu plusieurs années plus tôt.

LE SSPT est-il vécu différemment dans la vie civile?

Je ne crois pas. Les expériences traumatiques sont vécues dans des situations différentes, par exemple des accidents ou de la violence. En bout de ligne, il s’agit toujours d’êtres humains qui essaient d’y faire face.


Most of us have had to respond to traumatic situations at times, and we are likely to know others who have lived through sudden loss, accidents, war or other very difficult situations. John O’Donnell’s account of his involvement in the Swissair disaster and its aftermath, and his experience of dealing with trauma and post-traumatic stress disorder among those who did the recovery work at the Swissair crash site and among returning soldiers is both inspiring and informative. – Beth Porter, ed.
In this issue we depart from our custom of interviewing Canadians to talk with an Irish woman who is having a profound impact on people engaged in the work of reconciliation. Rev. Ruth Patterson was recently in Canada to give an address during the L’Arche General Assembly and public talks in Vancouver and Calgary. She also spoke at the Wisdom on the Journey gathering in Alberta, that brought together people from diverse communities to examine the legacy of Indian Residential Schools and support the work of the Truth and Reconciliation Commission of Canada. – Beth Porter, ed.
Mayor Naheed Nenshi is a passionate Calgarian, an academic, an accomplished business professional, and a man with a strong social conscience and community values. He has a reputation for thinking outside the box and he is seemingly tireless in his support of community initiatives. We asked, what can we learn from this man who has a passion for building community in his city. – Beth Porter, ed.
The Canadian government established the Truth and Reconciliation Commission of Canada because it finally had to acknowledge the great damage done Indigenous people by the government-supported residential school system. It has been said that just as the schools persisted over 7 generations, it will take 7 generations to heal the damage and for a truthful national story to take hold. It’s for our generation to begin. Dr. Marie Wilson is one of the 3 Commissioners who tirelessly travelled the country for 5 years recording the history of abuse. We are grateful to her for this interview. – B.Porter, ed.
This issue continues the interview with Commissioner Marie Wilson of the Truth and Reconciliation Commission of Canada. Dr. Wilson points to the multitude of opportunities that are set out in the TRC’s “Calls to Action.” The Commission will present its full final report to the federal government at the end of this year. Now, it falls to all of us who are Canadians to see that its recommendations are implemented—that we learn and teach the true story of the treatment of Indigenous peoples in Canada and that we do the work called for to bring justice, true reconciliation, and a good future for all in our country. – B. Porter, ed.
Stephen Lewis touches our deepest aspirations to build a better world. In this interview Stephen Lewis talks not only about his passionate concern for Africa but also about his own motivations and hopes and about democratic socialism today. - Beth Porter, ed.
In this issue we asked Luke Stocking to speak about his educational work on bottled water as a leader in Development and Peace, the arm of Canadian Catholic Church that focuses particularly on Catholic Social Teaching and social justice work. It was not our intention in choosing this topic that it correspond to the season of personal reflection and spiritual preparation that is Advent in the Christian calendar, but perhaps it will inspire such reflection. – Beth Porter, ed.
In 2011, before the last federal election, we published this very popular interview with Canadian humanitarian and thought leader Dr. Ursula Franklin. Although some allusions reflect that particular time, much remains relevant. Hoping it will contribute to readers’ preparation for the upcoming election, we are re-sending it as a bonus issue with some new links and a box on Dr. Franklin’s 2014 CBC “Next Chapter” interview. Stephen Clarkson’s piece and the link to the Afrobarometer continue to remind us of the privilege we share living in a democracy, whatever its weaknesses (see Gordon Gibson, p.4, and link to Andrew Coyne’s Walrus article). – Beth Porter, ed.
The shared meal, whether at home or in a restaurant, is one of the great social pleasures of life, and probably one of the great civilizing influences in our world, but it is put at risk by the increasingly hectic pace of North American life. At the same time, as concerns about sustainability and our environment grow, many of us are thinking more about the quality, origins and preparation of the food we eat. We are grateful to Adam Gopnik, gifted writer, thinker and cultural observer, who draws several of these threads together. – Beth Porter, ed.